par pierre al le 29 Mars 2009, 22:40
Nous ne pouvons pas savoir si même le maître assistait aux combats de ses élèves et s’il se trouve même sur place. Rien ne nous prouve en effet que son contrat de « préparation » au duel l’oblige également à rester sur place.
Cette série d’illustres guerriers est clôturée par un certain Azzo de Castelbarco. Fiore nous informe qui l'assiste par deux fois : à l’occasion d'un duel contre Giovanni Ordelaffi et une deuxième fois contre le chevalier Giacomo de Boson.
Il doit s’agir ici d’Azzone Francesco, fils de Giovanni de Castelbarco . Même si Azzo est, à l’époque, un prénom répandu, les registres de cette famille nous montrent que c’est une exception . Il y a donc de fortes probabilités pour que celui-ci soit vraiment l’élève de Fiore.
Nous ne savons rien des raisons qui ont poussées Azzo à demander un duel avec Giovanni di Ordelaffi (1355-1399), membre d’une puissante famille gibeline détenant le pouvoir à Forli depuis le début du siècle. Azzo est même lié à ces derniers par le mariage de son père avec une Ordelaffi.
Cependant si nous désirons absolument identifier le Giovanni qui affronte Azzo, nous pouvons chercher du coté du fils de Ludovico, le membre le plus aventureux de la famille qui ne parvint jamais à s’emparer concrètement du pouvoir .
L'autre adversaire d'Azzo, c'est-à-dire le « vaillant et bon chevalier » messire Jacomo de Boson appartenait probablement à la noble famille padouane qui prit le nom des ses terres, Boson .
Si nous considérons tous les élèves nommés, nous pouvons remarquer que deux sur sept sont des allemands. Cinq sur sept sont étrangers, pour un total de sept sur treize. Ils sont tous hommes d'armes, mercenaires ou condottieres, et tous ceux dont l'identité est vérifiée sont d'origine nobiliaire. La phrase avec laquelle Fiore entame l’énumération des duels laisse également supposer qu'il les expose en ordre chronologique, et ceci se conforme par les dates que nous avons mises en évidence. En effet, le troisième et le quatrième duel se produisent respectivement entre 1395 et 1399 . En outre nous savons aussi que le premier duel que livre Azzo se déroule en 1399, quelques mois seulement avant le second, contre Gioacomo de Boson. Malheureusement nous n'avons pas la date du premier combat, mais nous pouvons raisonnablement penser que ce dernier n’est pas très éloigné des précédents, étant donné qu’en 1385, Fiore est présent de manière certaine à Udine.
Enfin le manuscrit Pisani Dossi, daté de 1409, fixe bien le lien avec Niccolo III. Même en ne voulant pas considérer les premiers deux duels non datés, il est évident que les élèves illustres de Fiore se placent tous entre 1390 et 1400 ce qui pourraient correspondre à la période d’affirmation du jeune Marquis Niccolo.
Les dates auxquelles nous remontons grâce à ces nouvelles ne nous permettent d’ailleurs pas d'affirmer (comme Zanutto le fait dans son ouvrage ) qu’en 1393 le maître arrive à Ferrare pour s'occuper de l'éducation de Niccolo III, âgé d’à peine dix ans. Le jeune héritier des Este est en effet plongé alors dans la guerre civile Frioulane et est probablement plus occupé à survivre qu’à s’instruire avec méthode dans le domaine des armes.
C’est à la même période que les grandes puissances de la péninsule commencent à imposer leur domination aux petites entités territoriales, ces dernières ne pouvant qu’accepter la vassalisation. On considère généralement que lors du XIVème siècle, l’Italie est divisée en une myriade de puissances mineures. Aux débuts du XVème siècle, se sont formés cinq blocs : Milan, Venise, Naples, Florence et les États Pontificaux.
Pour se constituer il a fallu des décennies de guerres et de batailles. Pour gérer ces guerres, les capitaines, les ducs, les républiques et les communes se sont achetés des mercenaires surtout originaires d’Allemagne, de Hongrie, de France ou même d’Angleterre. Ainsi on rencontre en Italie des personnages comme Konrad von Landau, Hartmann von Warstein, ou Corrado Altimberg. Cependant, les mercenaires italiens ne sont pas moins efficaces, comme les redoutables, Facino Cane, Alberzco de Barbiano, Astorre Manfredi, Pandolfo Malatesta, Niccolo d'Este. Les plus habiles d’entre eux se sont même taillés des duchés dans les territoires qu’ils protégeaient. C’est le cas des Malatesta des Extense, des Gonzagues ou des Visconti.
On a souvent parlé de ces hommes en qualifiant leurs activités de « banditisme nobiliaire » notamment parce qu’on les voit souvent comme des survivants du monde féodal, volant, rapinant et trahissant comme de vulgaires malfrats, agissant en opposition avec le droit des villes sans que personne ne puisse s’y opposer, surtout parce qu'ils détiennent le pouvoir des armes et que toutes les communautés ont en définitive besoin d’eux, y compris le Pape. Ce sont des personnages que Fiore a nécessairement vu ou rencontré, auxquels il a peut être donné des leçons ou qu'il a conseillé avant un duel.
Encore une fois, il me paraît important d’insister sur le fait que nous nous trompons complètement si nous pensons à l’archétypal maître d’armes enseignant dans les demeures patriciennes aux jeunes enfants des riches seigneurs urbains. Il n'est bien sur pas exclu qu’il en ait éduqué certains, mais les noms et les éléments que nous avons ne le décrivent pas comme un simple employé au service de l’aristocratie urbaine. Fiore apparaît plus comme un homme de guerre expérimenté, qui connaît le conflit et les techniques qui permettent d’y survivre. Ses élèves, des Castelbarco, des Beccaria, sont déjà des combattants experts, des hommes dangereux, et recherchent probablement chez lui un perfectionnement technique, une sorte de « stage » de longue durée avant un duel dangereux ou une importante campagne militaire.
Cette technique, souvent faite pour surprendre, tuer rapidement et surtout efficacement, faisait probablement la différence sur le champ, de duel comme de bataille. Il est indéniable que de tels services, de première importance pour les puissants combattants que sont les élèves de Fiore, sont probablement très bien rémunérés (et la production successive de manuscrits de qualité n’est sûrement pas éloignée de cette manne financière). Certes, la possibilité d'emploi d'un duelliste n’est pas nécessairement liées à l'instruction martiale, et peut également être une autre activité liée au combat et à la violence. Il pouvait par exemple s'occuper de maintient de l’ordre durant une période particulièrement troublée, ou encore se lier à une compagnie de mercenaires. Il est possible que Fiore ait effectué, comme le montrent les rares documents d’archives parlant de lui à Udine, beaucoup de travaux moins gratifiants, mais nous ne savons pas vraiment combien d’emplois il a remplit avant que sa renommée ne le fasse entrer dans le cercle des puissants, dont les liens de parentés (résultant de mariages politiques le plus souvent) les lient tous les uns aux autres. Ainsi Federico Savorgnan épouse une princesse de Ferrare, les Estes étant eux même liés aux Carraresi, ceux-ci aux Malatesta, aux Visconti, aux Gonzagues, ces deux derniers étant eux même parents avec les Scaligeri, et Beccaria. Pendant l'enterrement de Gian Galeazzo Visconti, toutes ces familles sont quasiment présentes, chacune ayant une place d’honneur. Les amis et les ennemis sont alors les uns à coté des autres, comme une gigantesque famille. Voici quelle est la clientèle de Fiore, et celle des maîtres, souvent réunis dans communautés, partageant leurs secrets et formant ensembles des congrégations, comme cela se voit en Allemagne avec les Marxbrüder, les Federfechter ou les Freifechter .